L’activité opérationnelle des sapeurs-pompiers s’exerce dans des environnements instables, sous contrainte temporelle forte et avec une exposition permanente au risque. Si les dangers techniques, matériels ou environnementaux sont largement intégrés dans la préparation opérationnelle, les facteurs humains chez les pompiers demeurent une cause majeure de dérive en intervention.
Communication dégradée, fatigue, pression opérationnelle, routines installées ou défaut d’assertivité influencent directement la conduite des opérations incendie, la coordination des équipes et la sécurité des intervenants.
Les douze facteurs humains de dégradation de la sécurité en intervention constituent une grille de lecture structurante pour identifier ces dérives, anticiper leurs effets et renforcer la maîtrise collective de l’action opérationnelle.

Défaut de communication

Une communication incomplète, imprécise ou mal structurée constitue un facteur majeur de désorganisation. Cadres d’ordres et comptes-rendus confus, peu structurés, informations non partagées ou messages radio ambigus entraînent des incompréhensions dans l’exécution des missions.
Ce défaut de communication affecte la coordination entre équipes, perturbe la conduite des opérations et favorise des décisions inadaptées.

Routine opérationnelle et excès de confiance

L’expérience est un atout, mais elle devient un risque lorsqu’elle conduit à une lecture simplifiée de la situation. La routine opérationnelle favorise une sous-évaluation des risques, masque les signaux faibles et limite la remise en question.
L’intervention est assimilée à un scénario connu alors que ses caractéristiques réelles ou son évolution exigent une adaptation de la manœuvre.

Insuffisance de connaissances ou de compétences

Les lacunes techniques, la méconnaissance des phénomènes ou des procédures peuvent conduire à des décisions inappropriées ou à des manœuvres inefficaces.
Ce facteur concerne aussi bien la formation initiale que le maintien des acquis et l’appropriation des retours d’expérience.

Distraction opérationnelle

La distraction survient lorsque l’attention se détourne de l’objectif principal. Sollicitations multiples, événements secondaires ou surcharge informationnelle perturbent l’analyse et la prise de décision.
La conduite des opérations devient réactive, au détriment de l’anticipation et de la cohérence globale de la manœuvre.

Défaut de travail en équipe

L’absence de coordination efficace entre binômes, équipes ou secteurs fragilise la manœuvre d’ensemble. Les actions deviennent juxtaposées plutôt que complémentaires.
Le défaut de travail en équipe génère des ruptures dans l’exécution des missions et augmente le risque opérationnel.

Fatigue opérationnelle

La fatigue physique et cognitive altère les capacités d’analyse, de communication et de prise de décision. Elle résulte de la durée de l’engagement, des conditions d’intervention ou de l’enchaînement des missions.
Souvent sous-estimée, elle favorise les erreurs, la baisse de vigilance et les comportements inadaptés.
La fatigue opérationnelle impose au COS une vigilance permanente sur l’état physique et cognitif des équipes engagées, en particulier lors d’interventions prolongées ou à forte intensité. Au regard de l’activité réellement engagée, il lui appartient d’anticiper l’organisation des relèves, afin de maintenir la capacité opérationnelle, la qualité de la prise de décision et le niveau de sécurité des intervenants tout au long de la conduite des opérations.

Insuffisance ou inadéquation des moyens

Le manque de ressources humaines, matérielles ou logistiques, ou leur emploi inadapté au regard de la situation, limite la capacité à atteindre les objectifs fixés.
Cette insuffisance peut conduire à une manœuvre sous-dimensionnée, à une exposition accrue des intervenants ou à une perte de l’initiative opérationnelle.

Pression opérationnelle

La pression temporelle, hiérarchique, médiatique ou émotionnelle influence la prise de décision. Elle favorise les choix précipités et réduit la capacité à analyser sereinement la situation.
Cette pression peut conduire à des engagements prématurés ou insuffisamment maîtrisés.

Manque d’assertivité

Le manque d’assertivité se traduit par une difficulté à exprimer un doute, à signaler une incohérence ou à remettre en question une décision.
Lorsque les intervenants n’osent pas signaler une incohérence, les erreurs se propagent sans correction, augmentant le risque d’accident.

Stress

Le stress impacte directement le discernement, la communication et la coordination. À forte intensité, il altère la capacité à analyser correctement la situation et à hiérarchiser les priorités.
Mal maîtrisé, il renforce et accélère l’apparition des autres facteurs humains défavorables.

Perte de conscience de la situation

La perte de conscience de la situation se traduit par une vision partielle ou erronée de l’événement. L’analyse de la situation, fondée sur des reconnaissances inadaptées ou incomplètes, devient défaillante ; l’anticipation est insuffisante et la lecture globale de la situation se dégrade, compromettant la cohérence de la conduite des opérations.

Normes déviantes

Les normes déviantes correspondent à des pratiques informelles qui s’écartent progressivement des principes et procédures sans justification opérationnelle.
Tolérées dans le temps, elles deviennent la référence implicite et augmentent significativement le niveau de risque en intervention.

Conclusion

L’analyse des facteurs humains chez les pompiers en intervention incendie montre que les dérives opérationnelles et les accidents résultent rarement d’une cause unique. Ils s’inscrivent le plus souvent dans une dynamique cumulative, où facteurs humains, organisationnels et contextuels interagissent et fragilisent progressivement la conduite des opérations.
Cette grille de lecture s’inspire des travaux de Gordon Dupont, à l’origine du concept des « Dirty Dozen » en facteurs humains. Adaptée au contexte des sapeurs-pompiers français, elle constitue un outil pertinent pour structurer les retours d’expérience, renforcer la vigilance collective et consolider la sécurité des intervenants.